Insomnie, angoisses et ruptures : les côtés sombres de la tournée

« Un paquet de gens détestent partir en tournée, mais pour moi c’est aussi essentiel que de respirer. Je le fais parce que c’est mon destin ». C’est le récent prix Nobel de littérature qui s’exprime, et cette nouvelle distinction de l'ami Dylan ne nous empêchera pas de penser que ce sentiment qu’il décrit n’est pas donné à tout le monde.

Parce que partir en tournée en groupe est assez souvent vu comme une grande partie de rigolade, et parce qu’en se disant ça on est assez loin de la réalité, nous avons décidé de vous conter ce que tourner veut dire pour nombre de musiciens et techniciens.

« Je me sens coupable à l’idée d’appeler à l’aide pour améliorer une situation que j’ai moi-même choisie... »

Plus loin des strass, des paillettes, et de la rigolade des prouts dans le camion, ils subissent les contrecoups de cette vie ubuesque, dont on ignore parfois un peu les écueils. Cet article est une libre adaptation d’un post paru initialement dans le quotidien anglais The Guardian*.

C’est une étude de 2015 de l’association Help Musicien UK qui a vite calmé ceux qui pensaient que les tournées musicales étaient une joyeuse colonie de vacances. La réalité est en fait un peu moins idyllique. L’étude montre que 60% des musiciens interrogés avaient souffert de symptômes dépressifs, ou d’autres troubles psychologiques, la tournée étant liée à ces problèmes pour 71% d’entre eux.

Nombreux sont les musiciens qui décrochent et quittent leurs camarades de jeu du fait de ce rythme qui a parfois tout du malsain. Et quand Zayn Malik a brisé des dizaines de millions de petits cœurs en abandonnant le tour asiatique de One Direction, puis carrément le groupe, une source proche de ce boys band des temps modernes a confié aux micros de la presse people : « Zayn est parti parce qu’il n’en pouvait plus. Est-ce que l’un d’entre vous est déjà parti en tournée pendant quatre ans ? »

Instruments pour biture de zicos...

« L’image classique d’un musicien en tournée est assez incompatible avec tout ce que nous connaissons du bien-être », confie Isabella Goldie, qui travaille pour la Mental Health Foundation. « Boire avec modération, éviter les drogues, bénéficier d’un sommeil suffisant et du soutien des proches, sont autant de moyens pour conserver l’équilibre, et ce n’est pas très surprenant que certains musiciens aient des difficultés à le trouver. »

"99% d’une tournée consiste en s’asseoir dans des vans, aller dans des aéroports, des hôtels, s’enfermer dans des moyens de transports pendant des heures, immobilisé"

"99% d’une tournée consiste en s’asseoir dans des vans, aller dans des aéroports, des hôtels, s’enfermer dans des moyens de transports pendant des heures, immobilisé”, témoigne le producteur Mat Zo (de son vrai nom Matan Zohar). « C’est facile de laisser votre corps et votre esprit dépérir dans ces conditions, même pour quelqu’un d’équilibré à la base. Et pour ceux qui ont un terrain anxieux, les chambre d’hôtels peuvent parfois apparaître comme des cellules de prison ».

Pédale pour death metal.

Meredit Graves, du groupe de punk Perfect Pussy, abonde : « On est les gens les plus chanceux de la planète de pouvoir faire ça, ce qui ne veut pas dire que c’est facile pour autant. Etre enfermés à plusieurs dans un van pendant 10h d’affilée, plusieurs jours d’affilée, c’est mentalement éprouvant, surtout quand comme moi tu dors difficilement. C’est la recette assez parfaite pour une bonne déprime en fait. »

Pour beaucoup, indépendamment du degré de réussite et de reconnaissance, le contraste entre les hauts d’un concert réussi et les bas qui les suivent peuvent s’avérer dévastateurs, un phénomène qui est désormais appelé "DPP", la Dépression Post Performance.

John Buckner, spécialiste de la santé mentale, écrit à ce sujet : « Lorsque le corps subit des changements majeurs dans l'humeur, il est inondé par plusieurs neurotransmetteurs différents, ce qui entraîne une libération biochimique qui conduit à un sentiment d'extase. Après ces moments, le système nerveux a besoin de temps pour se rééquilibrer, pour se préparer à une autre libération.

Après une performance intense, le corps commence à équilibrer le niveau des neurotransmetteurs, et donc il ne libère pas le même niveau qui a causé ces sentiments intenses, ce qui entraîne une forme de tristesse persistante. Dans la vie normale, au jour le jour, ces décharges biochimiques sont libérées et suivies de repos, de récupération, ce qui provoque les hauts et les bas de la vie typiques. Dans le cas de DPP, le processus est plus extrême avec des hauts plus hauts et des bas plus bas. »

"Laissez-moi tomber, j'en peux plus de cette vie de musicien de merde avec tous ces fans qui t'acclament !!!"

Willis Earl Beal, un des artistes pionnier sur  le fameux label XL Recordings, témoigne à son tour : « la tournée peut être destructrice pour un musicien, en tout cas elle l’a été pour moi c’est sûr. Je rentrais à la maison, je nourrissais mon chat, je faisais à bouffer pour ma femme qui venait de bosser 12h d’affilée, et tout ce bordel me rendait fou.

J’étais bourré de tensions, je ne pensais qu’à moi, je me ressassais des trucs du genre je ne mérite pas ça, je suis une star après tout, ce qui m’a essentiellement conduit à un divorce… à cause d’une putain de carrière, et d’une lutte contre quelque chose qui n’existe pas et n’a jamais existé. »

Un déclin des relations avec les proches est en effet très commun, et forcément dur à encaisser pour tout le monde : « Je vivais encore dans ma petite chambre chez mes parents à l’époque. Tes potes étudient pendant que tu fais des trucs très différents. Bien que ça puisse être assez génial, tu peux vite te sentir perdu. Tu es jeune et tu ne suis juste pas le même chemin que les autres. »

Suicide collectif d'instruments qui en ont marre des musiciens déprimés


Zohar renchérit : « Les relations sont compromises dès lors que les difficultés s’accumulent dans l’idée de se relier à la vie des gens ayant un quotidien plus stable. Vos problèmes et vos vies deviennent juste très différents de ceux qui vous sont proches. »

Pour certains, aussi stressant et chaotiques que puissent être les tournées, c’est un quotidien toujours préférable à celui du foyer. « Tourner vous constitue jusqu'à un stade qui peut rendre la vie normale fade, témoigne le chanteur de The Vaccines Justin Young, tu te retrouves avec pas mal d’attentes par rapport à cette vie qui ne sont pas toujours remplies dans la vie quotidienne, depuis les courses au supermarché jusqu’à un diner chez des amis, qui ne remplacent pas toujours cette adrénaline qu’on connaît par ailleurs. »

Départ en tournée d'un groupe qui en a déjà gros sur la patate

 

Nash confirme : « Quand tu tournes tu sais toujours ce que tu fais et ce que les gens attendent de toi, il y a une sorte de routine qui s’installe, qui t’interdit de te poser des questions, et puis tu rentres de tournée et tu demandes mais bordel à quoi ça sert ? Qu’est- ce que je suis en train de foutre de ma vie ? »

Mais est-ce que considérer la tournée comme une fuite peut être sain sur ce long terme ? Isabella Goldie répond que « la vie sur la route peut être enivrante mais il est vital qu’un musicien ait un foyer, un endroit stable auquel s’identifier. »

Batterie en plein burn out

 

Et lorsque certains perdent cet équilibre, c’est souvent le rôle du manager de contraindre l’artiste à faire un break. La plupart des personnes interrogées pour ce sondage avaient beau dépeindre un tableau myennement reluisant de la tournée, peu d’entre eux étaient enclins à chercher de l’aide. L’un d’entre eux témoigne anonymement : « Je me sens coupable à l’idée d’appeler à l’aide pour améliorer une situation que j’ai moi-même choisie et que je suis donc censé pouvoir régler par moi-même. » Pour autant, Nash insiste sur la nécessité de savoir quand s’arrêter et se reposer pour se remettre de toutes ces émotions perturbantes. « Je pense que j’étais juste lessivée, j’enchainais des tournées énormes, je rentrais pour deux jours off, et je repartais à nouveau, et ça m’a complètement cramée. »

Pour autant, est-ce viable quand on ne s’appelle pas Daft Punk, de simplement s’arrêter de tourner pour un temps ? Beal, répond sincèrement : « Si je pouvais rester tranquille à la maison pratiquement tout le temps et enregistrer je le ferais, mais ça n’est viable financièrement pour à peu près aucun musicien de nos jours. »

Encore des musiciens heureux qui ne savent pas ce qui les attend...


Pour Nash le salut peut en partie venir des réseaux sociaux, qui donnent aux plus jeunes générations un contrôle accru sur leur vie, et ce que leur public perçoit. Les artistes en deviennent plus humains, et plus à même d’être compris lorsqu’ils ont un coup de mou ou qu’ils annulent une date parce qu’ils sont à bout. « J’ai vu des fans être incroyablement compréhensifs quand ce genre de cas a pu arriver, assure Nash, me disant que le plus important était ma santé, et que ce qu’ils voulaient avant tout était que je me sente mieux. »

Tout cela relie finalement à une autre citation de Dylan, moins idylique cette fois :  “Tourner c’est comme une espèce d’enfer. C’est un peu comme aller de nulle part à... nulle part.”
 


Vous n'avez jamais ressenti un brin de déprime en tournée ? Vous avez eu envie de vous pendre après seulement deux heures de route à supporter vos potes dans le van ? Partagez vos expériences

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