Six façons bien différentes de vivre ses premiers concerts en groupe, du très meilleur au grand pire...
“Toute première fois, toute toute première fois !”
Les premières fois ont souvent en commun de coller le flippomètre à zéro, de faire perdre ses moyens et de gâcher quelque peu le moment. En concert, les premières fois se répètent idéalement tout au long d’une carrière : le tout premier concert, le premier devant les parents, le premier en solo, le premier Zenith, etc. Comme il y a effectivement une grande différence entre vous la raconter devant la glace à hurler dans ce peigne qui ne vous a rien fait, et assurer au micro devant plusieurs dizaines de personnes qui ne vous connaissent pas, on vous vous raconte quelques premières fois plus ou moins réussies, qui sonneront autant comme des conseils que des avertissements.
>> La paralysie totale
Le concert a beau se dérouler au Balto, le bar-tabac de votre oncle, plus habitué à héberger les poivrasses du village que les cris des fans de décibels qui tâchent, vous sentiez déjà dans les jours précédant que vous balisiez grave. La veille au soir vous n’avez rien pu avaler et s’en est suivi une nuit blanche plutôt sombre, entre sudations et cauchemars éveillés, à l’image des deux nuits d’avant en fait. Vous êtes arrivés sur place avec des cernes jusqu’aux dents et l’envie de partir vivre à Guantanamo jusqu’à la fin de vos jours plutôt que de vous produire devant une bonne partie du village. Vous ne saurez jamais si vos potes du groupe sentaient à quel point vous étiez mal, mais eux semblaient plutôt détendus et excités à l’idée de ce concert, alors vous avez joué la carte de l’évitement et passé la majeure partie de la journée aux toilettes. Pas celles du bar hein, en mec malin vous alliez vous réfugier dans celles du camping, juste de l’autre côté de la place. Et puis l’heure est venue, où une partie du groupe et de vos potes s’est mise à vous chercher, l’heure fatidique approchant. Ayant déjà vomi sept fois et fait treize fois caca (ah non pas treize !!!) dans l’après midi, vous avez courageusement quitté votre repaire sur injonction de la troupe interloquée, et avez attrapé votre guitare sous les hourras de la foule déjà passablement alcoolisée. Attendant un miracle devant ses mains qui ne cessaient de trembler et ses jambes qui pouvaient presque faire penser à un déhanchement d’Elvis tellement elles avaient du mal à vous porter, les morceaux se sont enchainés péniblement. Votre voix à peine audible, l’un de vos potes du groupe a eu la brillante idée de vous remplacer au chant de façon improvisée. Vos accords tenant plus du scandaleusement faux que de l’approximatif, le batteur s’est permis de petit à petit baisser le volume de votre ampli pour qu’au troisième morceau vous vous retrouviez à parodier un playback sordide que même votre petit frère aura grillé puisqu’il viendra vous voir à la fin du concert en vous demandant « mais pourquoi tu jouais pas vraiment en fait ? ». La fin du concert est heureusement vite arrivée puisque votre répertoire ne comprenait que cinq morceaux, et plutôt que de retrouver les chiottes du camping vous avez filé le plus vite et discrètement possible dans votre chambre en espérant que le lendemain matin vous ne vous souviendrez plus de la moindre seconde de cette journée.
Malheureusement le lendemain vous apprendrez surtout par un texto de votre batteur que votre bassiste qui vous avait brillamment remplacé au chant, était reparti avec Sylvine, la nana à laquelle vous pensez secrètement depuis déjà huit mois. Monde de merde.
Notre conseil super malin : si jamais vous n’êtes pas dégouté à tout jamais de la moindre écoute du note de musique après ce genre d’épreuve, sachez que ce n’est rien. Quelques économies et un aller simple pour Gdansk ou La Havane vous permettront de vous refaire une virginité sans trop de mal. Et si vous souhaitez vraiment continuez à vivre dans votre environnement familier, dites-vous juste que la marche avait beau ne pas être bien grande, elle était sans doute quand même un peu haute. Commencez plus petit, en invitant par exemple des potes en répèt, puis un peu plus de monde, et enchainez par un concert « privé », où vous pourrez sélectionner un peu qui sera là ou pas. Ces petits caps de confiance à passer vous serviront à, un jour, revenir au Balto par la grande porte, même si bon elle est un peu cassée depuis 1997 et cette baston mémorable, et tout déchirer quitte à un jour, qui sait, fouler la scène de la MJC du bled d’à côté.
>> La timidité mi-attendrissante mi-énervante
Vous êtes prêts. Vous avez répété des centaines d’heures et le bien nommé caf’conss « L’Ami Calebard » devrait être plein ce soir si l’on en croit les retours enthousiastes de tous vos potes. Vous vous êtes refaits mille fois la scène dans votre tête, vous avez pensée à tous les détails de cette journée, vous avez TOUT prévu. Oui mais voilà, vous aviez tout prévu sauf d’être pris d’une montée de stress irréfrénable au moment où Dédé, le patron du « Calebard », est venu vous dire que c’était le moment. Forcément, vous n’êtes pas connu comme un extraverti notoire, et personne ne s’est vraiment alarmé de vous voir regarder le sol pendant tout le premier morceau. Quelques-uns auront pu être un peu gênés lorsque vous vous êtes mis à chanter un refrain en yaourt, signifiant que votre esprit agité avait complètement zappé ces paroles qui ne sont pourtant pas dignes de Sheakspeare. Mais entre votre filet de voix, votre façon de vous passer la main dans les cheveux et devant la bouche toutes les deux minutes, cette façon de dire merci en ayant l’air de s’excuser après chaque morceau, on ne peut pas dire que vous ayez commencé votre carrière de bête de scène par le bon bout du charisme. Enfin, les gens vous ont applaudi, et le groupe est content. Gwendo, celle qui brise les pupilles de tout le lycée est venue, et elle vous a même lâché un sourire, ce qui a le don de vous en coller un jusqu’à ce que vous trouviez enfin le sommeil. Le lendemain, seul un petit encart écrit par le correspondant local du Courrier du Bled viendra vous rappeler que vous n’avez quand même pas fait la prestation de l’année : « on ne sait trop si on a affaire à une personne qui s’est trompée de vocation ou à un fan de Charlotte Gainsbourg trop timide pour bien l’imiter, mais il faudra sans doute quelques heures de thérapie de groupe pour que le leader des Skatapultes ne calquer sa prestation scénique sur l’énergie punk hardcore que ses collègues envoient. »
Gueule de bois.
Notre conseil super malin : inscrivez-vous à des cours de théâtre, sûrement proposés par la ville ou quelque asso locale. Acceptez « d’être un arbre » ou « d’incarner une mouette » sur les ordres de ce prof improbable, et vous trouverez vite ça beaucoup moins ridicule d’interpréter vos morceaux devant des gens que de continuer ce cirque longtemps.
>> La confiance surjouée, ou trop c’est comme pas assez
Tous les matin depuis une semaine vous vous levez en véritable Rocky Balboa de la scène, et peu vous importe si vous n’avez jamais interprété le moindre morceau devant plus de cinq personnes, soient le nombre de musiciens qui composent votre groupe. Boosté par votre confiance auto-régénératrice comme si vous vous avaliez un saladier de cocaïne au petit-déjeuner, vous abordez le jour JJ (comme jouissance joyeuse) avec hardiesse et impudence. Vous grimpez sur la scène de la Cigale comme s’il ne s’agissait pas du PMU de Trouville-sur-Fion mais bien de la salle mythique parisienne. Avant même le premier accord, vous haranguez la foule à coups de : « vous êtes prêts à écrire l’histoire ou quoi ?? »
Vous jouez de votre Shoure SM58 d’imitation chinoise comme d’un Stabilo boss bien épais pour écrire cette putain d’histoire, et enchainez les clichés les plus gras sur les stars des stades : vous demandez au public de reprendre les paroles d’un refrain qu’il n’a jamais entendu dès le premier morceau, enchainez les « WOOO TROUVILLE EST-CE QUE CA VAAAAA ?!?!?! » entre chaque chanson, montez sur des cagettes à patates à défaut de retours pour hurler sur la foule, slamez à plusieurs reprises, sous le regard d’une foule bigarrée et médusée qui ne comprend pas le rapport entre votre attitude et la chanson française directement inspirée de Laurent Souchy et Alain Voulzon. C’est en ressortant éreinté et dégoulinant de sueur de cette demie heure de show que le patron du bar vous mettra lui-même la puce à l’oreille en vous assénant : « c’est sympa ce que vous faites hein, mais par contre faut pas péter les plombs comme ça, y a aucune raison… ».
Sale histoire.
Notre conseil super malin : caaaaaaaaalmez-vous… Mais nan mais CALMEZ VOUS QUOI BORDEL !!!!! Avant chaque concert, allez désormais courir un marathon en foret et avalez-vous un petit benzodiazépines, ça devrait. Et calmez-vous.
>> Le mode automatique, tout automatique
Comme vous avez commencé à sentir votre transit se détraquer plusieurs semaines avant le concert à chaque fois qu’on évoquait ce sujet ou que cette pensée vous traversait, vous vous êtes conditionné en mode guerrier, et avez emmené votre groupe dans votre délire. En deux semaines, vous avez répété une soixantaine d’heures, et êtes allés jusqu’à écrire les interventions au mot près, écrire les solos « improvisés » et les répéter jusqu’à ce que chacun puisse les jouer les yeux bandés et les mains attachées derrière le dos, vous avez organisé trois générales devant personne, afin d’éviter que le contenu du spectacle puisse fuiter, et avez atteint la totale parano quand vous avez demandé à vos potes de racheter le même matos en double « au cas ou il arriverait quelque chose d’ici samedi. » Résultat, les spectateurs courageux venus vous encourager ont du subir un concert d’une froideur absolue, pendant lequel des zombies complètement hypnotisés par leurs parties respectives essayaient de feindre péniblement l’idée de prendre du plaisir, mais ne convaincant personne, au point que la moitié de la salle se vide après deux morceaux.
Ingratitude totale.
Notre conseil super malin : pointez-vous tous les lundis soir à la jam session organisée par le bar du coin. Observez le plaisir qui se dégage de ces mains hésitantes, de ses solos imparfaits, et de ces chants à la justesse relative. Bottez-vous le manche et allez les rejoindre autant que possible, et jouissez de l’imperfection. Elle est ce qu’il y a de plus vivant.
>> Le comme dans du beurre, dans tes rêves, dans le mille
Vous étiez allé jusqu’à en parler à votre maman la veille au soir tellement vous aviez les boules. De sa voix rassurante elle vous avait dit que vous prendriez de toute façon du plaisir, et que ce concert serait le premier d’une série qu’elle vous souhaitait la plus longue possible. Vous aviez révisé tous les morceaux en écoutant la dernière répèt au creux de votre lit, et étiez le premier surpris à ce que les quelques chansons esquissées en balance sonnent aussi bien. A quelques secondes du coup d’envoi, vous aviez regardé vos potes en leur demandant « est-ce que vous croyez qu’il y en a un qui flippe plus que moi en ce moment ? » Et ils avaient répondu à l’unisson « ouais, moi… »
Alors vous aviez souri, vous vous étiez fait un hug collectif hyper intense, aviez consulté votre portable sur lequel un message de la merveilleuse Carla disait juste « fort », et vous y étiez allés. Vous aviez envoyé tout ce que vous saviez, brûlant la scène, renvoyant tel un miroir solaire les rayons des maigres spots du café-concert, n’apercevant ni Carla ni personne, à part peut-être vos collègues du groupe qui semblaient également en pleine éjaculation musicale. Transition lourde ou pas, vous rejoignez les bras de Carla un peu plus tard dans la soirée, entre humilité chevillée aux cordes et envie de partir pour six mois de tournée dès le lendemain.
Le lendemain justement, vous vous réveillez en sursaut, regardez votre réveil pour apercevoir 4h du matin inscrit sur l’écran. Vous tâtez la place vide à côté de vous, et constatez qu’on est bien samedi et que le concert est ce soir.
Notre conseil super malin : qui sait si ce ne serait pas un rêve prémonitoire…
Vous voulez aussi nous raconter votre toute première fois ? Vous voulez adhérer au fan-club de Jeanne Mas sobrement appelé « Les Rouges et Noirs » ? Dites nous tout via le blog par ici, ou en questionnant directement l'auteur par là.
L'auteur : Cousin Cool se situerait dans la carrière musicale entre Père Castor, Cousin Machin et Daddy Cool. 30 ans qu’il traîne sa carcasse barbue dans les salles et les studios en tant que bassiste, ingénieur du son et régisseur. Du nord au sud de l’Europe, de l’est à l’ouest de l’Amérique, Cousin Cool a bossé avec les plus grandes divas comme avec les pires crasseux. Dans la famille Cool, il n’a jamais été père ou a refusé de le(s) reconnaître. Mais chez les Cool, on est dans le son de la tête au pied, de père en fils depuis une génération, et peu importe si celui de Cousin l’a abandonné à la naissance. De cela comme de tout sauf du son, Cousin se fout complètement et on le lui rend bien.