La compilation des pires justifications pour éviter de payer les musiciens
Les cachets des groupes se divisent en deux catégories : d’un côté ce que beaucoup de gens peu habitués pensent payer ; un cachet qui donne droit à un concert. Et de l’autre les multiples charges que certains oublient, mais que les groupes doivent pourtant assurer. Devant le nombre de plaintes des groupes sur les cachets proposés, nous avons creusé le sujet et vous rapportons ici un florilège des phrases entendues dans les lieux les plus accueillants de l’hexagone. Le genre de phrases qui, malgré la citation du trompettiste Boris Vian que vous pouvez lire ci-contre, pousse à la gueulante, quand ce n’est pas au crime. Ambiance.
Vous cherchez à vous faire engager en tant que musicien ? Voici donc ce que vous croyez recevoir : un cachet.
Et voici maintenant ce que vous recevez souvent :
Mais je croyais que vous faisiez ça pour le plaisir ! Parce que vous croyez que vous êtes les seuls à galérer pour faire ce que vous aimez ?
L’argument imparable de la justification par l’absurde. A ce compte là, on ne se plaindra pas d’avoir régulièrement la dalle puisqu’après tout y en a qui meurent de faim au Bangladesh, ou de se péter une jambe vu qu’il existe déjà tant de culs de jatte sur cette planète. Monde de merde.
Vous habitez à côté les gars, ça vous coûte rien.
Ah ben oui, tiens, c’est vrai, quand NOFX joue à L.A ou que Leonard Cohen pousse la chansonnette à Montréal, ils ont pour habitude de s’asseoir sur leur cachet et de jouer pour la gloire.
J’ai déjà l’énorme cachet d’Iron Sabbath à payer et je suis sûr de ne pas rentrer dans mes frais !
Votre interlocuteur est rusé, il utilise la technique très mesquine du «misérabilisme retourné» (le cousin caché du coup de pied du même nom cher à JCVD). En gros non seulement il tente de ne pas vous payer, mais en plus il cherche à se faire plaindre. Bientôt il va vous dire que vous avez de la chance de jouer dans une belle salle, avec ô miracle, du public, etc.
Déjà que les charges dans ce pays ne cessent d’augmenter, estimez- vous heureux de pas en avoir en tant que musiciens.
Oyé, oyé braves gens, bienvenue dans le fabuleux royaume de l’amalgame. Attention, tel que c’est parti, vous allez bientôt frôler la réplique ultime du « saltimbanque, c’est pas un métier »... Mais comme à force de cumuler ces expériences délicates vous êtes passé maître dans l’art de tolérer les cons, vous respirez tel un vénérable Rinpotché et tentez de lui démontrer que vous avez entre autres à payer des trucs comme : l’hébergement, l’essence, le cametard, le matos, le local, la promo, la com du bookeur, à ajouter à des plus classiques : petits pots pour bébé, loyer, billets de train pour aller voir mamie à Pâques, appareil dentaire de la petite et crédit de la 206.
Franchement, déjà vous allez jouer dans une super salle et y aura plein de monde, c’est déjà bien.
Ah vous voyez !! Qu’est-ce que je vous disais ?!?!
Si vos fans payent 0,0004 cts par morceau pour vous écouter sur le net, je vois pas pourquoi je paierais plus pour vous écouter ici ?
Ca c’est quelqu’un qui est très malin, parce qu’il suit l’actualité monsieur, et il sait effectivement qu’à moins d’être Lady Gaga et ses copains, il y a peu de chance que vous puissiez vous offrir beaucoup plus qu’un jack neuf avec les recettes annuelles de vos écoutes en streaming. Cependant ça ne l’empêche pas de vous filer un cachet. Et un wishky avec cinq pailles, tiens, tant qu’à faire.
Ben en fait j’ai trouvé ça beaucoup moins bien que sur album.
Donc le mec (une telle fourberie, c’est forcément un mec nan ?) s’est cru à la télé, genre satisfait ou remboursé. Il ne va pas tarder à vous dire qu’il a même vu mieux à moins cher la semaine dernière et qu’il demande à ce que vous lui remboursiez la différence.
Moi je paie pas les intermittents, ils touchent déjà le chômage à longueur d’année.
- Ah, voilà qu’on a affaire à un grand connaisseur de ce système de rémunération et d’assurance chômage que le monde libéral nous envie. Peu lui importe d’ailleurs de savoir si vous faites ou non partie de cette caste, cet argument choc lui suffit. Donc histoire de ne surtout pas surenchérir au débat stérile du « pour ou contre l’intermittence » dans un lieu qui, visiblement, ne connaîtra plus jamais l’honneur de votre présence, contentez vous de suggérer des faits :
- 507 - Le nombre d’heures de travail (déclarées hein, évidemment) nécessaires pour bénéficier du régime de l’intermittence. Ce volume d’heures doit être effectué au cours d’une période de dix mois pour les techniciens et de dix mois et demi pour les artistes. Il ouvre droit à 243 jours d’indemnités.
- 108 658 - Le nombre d’intermittents indemnisés par l’assurance- chômage en 2011, soit 58 102 artistes et 50 556 techniciens.
- 139,60 euros - Le montant maximal de l’allocation journalière perçue par un intermittent en 2013. Dans les faits, l’indemnité moyenne journalière est de 54 euros chez les artistes et de 64 chez les techniciens. A titre de comparaison, l’indemnité moyenne journalière des chômeurs au régime général de l’Unedic est de 37 euros. Cette indemnité est perçue 5 jours sur 7 alors que les intermittents la perçoivent 7 jours sur 7.
- 27 867 euros - C’est le revenu global annuel moyen d’un intermittent du spectacle indemnisé en 2011. Il est sensiblement plus élevé chez les techniciens (31000) que chez les artistes (24000). La part des indemnités d’assurance chômage dans le revenu est majoritaire chez les artistes (51%) et minoritaire chez les techniciens (37%).
- La culture contribue 7 fois plus au PIB français que l’industrie automobile.
Les Américains eux ils paient pour jouer, alors estimez-vous heureux !
Votre interlocuteur est sûrement un grand voyageur. Ca tombe bien, vous aussi, et sur ce point vous ne pouvez pas complètement lui donner tort. Et c’est ce qu’on a coutume d’appeler la fabuleuse exception culturelle française. En effet, spécificités de l’intermittence mises à part, il est bien plus compliqué pour un groupe anglo- saxon (et nombre de ressortissants d’autres contrées) de se faire payer convenablement dans son pays que dans l’hexagone. Cela dit, à justifier la mesquinerie par la misère, on a vite fait de devenir misanthrope. Du moins dans ce lieu si chaleureux.
Vous avez eu le menu pizza et un verre de sangria gratos, c’est déjà pas mal non ?
Nous avons ici affaire à la générosité incarnée, doublée d’un grand sens du tact et du respect des personnes. Le genre pour qui le résultat de jours, d’années de labeur, se paie en godets de sangria.
BONUS
« Dis donc connard, tu voudrais que je vous lâche un cachet alors que vous avez joué à peine un quart d’heure tout ça parce que vous étiez trop bourrés, qu’en plus votre clavier avait l’air bien occupé à essayer de tripoter la pauvre serveuse pendant toute la soirée, et que selon toute vraisemblance, vous ne vous êtes pas lavés depuis plus de trois semaines !? »
Il semble que ce coup-ci ce soit vous qui déconniez complètement... Donc à moins que cette personne ne fabule, déposez quelques excuses sur le comptoir en guise de rappel et déguerpissez le plus discrètement possible (surtout votre clavier).
1 commentaire
Bonjour Confliktarts. Le sujet des artistes qui se produisent dans les bars mérite bien une chanson… J’en ai fait une: https://www.youtube.com/watch?v=uKyt7qYi4as Bonne écoute! Musicalement, Bruno Latournerie Musicien.