Amanda Fucking Palmer, l’industrie musicale et moi…
Réflexion sur la fanbase qui valait 1 000 000 $
Depuis plusieurs mois, l’industrie de la musique ne parle que de cela, de cette réussite incroyable à collecter grâce au financement participatif sur Kickstarter plus d’un million de Dollars pour promouvoir la sortie d’un nouvel album. Cet exploit, on le doit à Amanda Palmer, héroïne du Punk Cabaret, chanteuse des Dresden Dolls qui a su également s’illustrer dans une carrière solo et divers projets artistiques comme Evelyn Evelyn, avec son camarade Jason Webley. Pour m’être beaucoup intéressée au sujet, je me suis retenue longtemps avant d’écrire cet article, pensant ne pas avoir le recul suffisant. Au départ, je voulais simplement relayer les infos promotionnelles habituelles à ce sujet... Et puis zut !
JE SUIS FAN ! Et c’est pour cela que je travaille dans l’industrie musicale, c’est pour cela que NOUS travaillons dans l’industrie musicale. Parce que gosse, nous voulions être acteur du succès des artistes que l’on aime.
Quand j’observe l’industrie de la musique se réveiller soudainement au sujet de ces nouvelles solutions de financements participatifs, qui pourraient « changer la face du monde » alors qu’on les voyait jusqu’ici comme anecdotiques, voire pire on moquait ses fans irréductibles qui finançaient les artistes les plus obscurs. Ne sommes nous pas tous ces fans qui ont carrément choisi la précarité de cette industrie pour pouvoir vivre de notre passion musicale ?
Tout à coup, cette industrie pense que le monde a basculé et que le public, les fans considérés comme des porte-monnaies, sont prêts à investir de l’argent si tant est que l’artiste s’investisse un minimum dans ce type de campagne. Sauf qu’Amanda Palmer, ça n’est pas que ça.
La construction de la carrière d’Amanda Palmer n’est pas soudaine. Ça n’est pas une révélation internet, ni une preuve des biens faits du community management. Amanda Palmer, c’est 10 ans de relations privilégiées avec ses fans, de partage de ce qu’elle aime ou déteste, 10 ans durant lesquels après chaque concert, elle reviendra dans la salle (avec Brian à l’époque des Dresden Dolls) pour pendant 3 heures, rencontrer, échanger, partager et écouter ses fans. Amanda Palmer a toujours tout partagé avec eux…J’insiste sur TOUT !! Ce sont des milliers d’adresses répertoriées en tournée par leur ancienne manageuse Emily White qui aujourd’hui est un exemple pour ceux qui ont pour modèle le Do It Yourself. Des anonymes à qui seront adressés des news quasi quotidiennes sur tout ce qui fait les Dresden Dolls et Amanda Palmer…J’insiste sur TOUT !!
Ainsi Amanda répond à toutes les questions qu’on lui pose, et ce partage pousse ses fans à la considérer comme une sorte de guide ou plutôt de conseillère d’orientation en art et épanouissement personnel. Amanda devient pour beaucoup de ses fans, une sorte de grande sœur, une personne qu’on a l’impression de connaître personnellement et qui un peu comme un modèle nous fait parfois nous poser la question « What Would Amanda Palmer do ??? »
Sur son forum The Shadowbox, s’organisent des Shadow Brigades depuis des années, animant chacun des concerts avant l’ouverture des salles et créant chez les fans un sentiment d’appartenance communautaire. Lorsque Amanda Palmer est rappelée à l’ordre par son label qui la trouve trop grosse dans le clip de « Leeds United » sur son album solo (« Who Killed Amanda Palmer ») ce sont des milliers de fans qui prennent leur ventre en photo marqué d’un (F*** Roadrunner).
Au moment de la sortie de cet album, c’est une chasse au trésor internationale qui est lancée telle une énigme, la fan base doit trouver qui a tué Amanda Palmer (en référence à la Laura Palmer de Lynch dans Twin Peaks). Je me rappelle avoir à l’époque traversé Paris pour chercher sous un automate de la RATP de la station Port Royal un indice pour aider MA communauté… Je me souviens avoir été vexée lorsqu’un bloggeur avait publié un organigramme des comportements de consommation de musique en mettant tout en haut de la pyramide ce qu’il avait appelé « Les Fans D’Amanda Palmer » à savoir ceux qui achètent tout et n’importe quoi sans regarder, sans compter et sans sens critique.
Alors aujourd’hui, que l’on prenne ces fans, dont moi, en exemple pour décrire une industrie de la musique transformée et renouvelée, c’est un mensonge. Un mensonge pour les observateurs ignorants de la carrière d’Amanda Palmer qui utiliseront cet exemple de financement participatif de la musique pour le mettre à toutes les sauces, un mensonge pour les musiciens les plus crédules qui goberont sans broncher les salamalèques de quelques pseudo professionnels de l’industrie musicale aux procédés « alternatifs » discutables sans même comprendre l’ensemble de la démarche.
Lorsque l’on regarde attentivement cette campagne de financement, d’un point de vu strictement mathématique d’abord, seul 1/3 de la somme récoltée correspond à des ventes d’album, MP3, CD et Vinyle confondus. Les 2/3 restants se partagent entre des objets matériels, non supports de musique (merchandising) et l’expérience humaine, celle de l’humanisation d' internet, celle qui te donne l’occasion de rencontrer quelques uns de tes 3500 followers sur Twitters ou 890 Facebook friends. Cette expérience qui comme chacun des concerts sera un lieu d’échange et de partage unique qui laissera un goût d’acteur, organisateur et metteur en scène de l’événement plus que de simple spectateur. Le merchandising servira de faire valoir pour l’ensemble de l’univers artistique, mais aussi de promotion pour l’art en général, la littérature avec Neil Gaiman, la photographie avec Kyle Cassidy, la peinture, sculpture etc., en gros l’univers de saltimbanque qui gravite autour d’elle. Et lorsqu’Amanda Fucking Palmer se déplace, c’est tous ses satellites qui se déplacent avec elle. C’est encore une fois une communauté. Une communauté d’acteurs/spectateurs qui sont tous des médias.
Alors non, faire comme Amanda Palmer n’est pas un moyen, c’est un but. C’est un commencement ou un recommencement, c’est un exemple, mais certes pas l'exemple pour les groupes en développement en mal de fanbase et ça n’est pas non plus la preuve d’une révolution dans la musique, c’est seulement que la fanbase d’Amanda Palmer sait déjà que « Life is no Cabaret »…