Petit lexique secret à l'usage des musiciens (3/3)
"Le jargon de la musique de Q à Z "
Voici la troisième et dernière partie du « Petit lexique secret à l'usage des musiciens » réalisé par Emily Gonneau de Unicum Music. De Q à Z, vous apprendrez tout sur le « Royalty Break », les « Tubes » et autres « Victoires de la musique », non sans humour, bien évidemment.
Q :
Voir « X »
ROYALTY BREAK :
Invention aussi pernicieuse qu’admirable des maisons de disques pour amener l’artiste à les remercier alors qu’il/elle est en train de se priver d’une partie considérable de ses futurs revenus pour que le label fasse le travail qu’il s’était déjà engagé à faire. Participation à l’effort de guerre oblige. Pour le détail, voir « K ». Pour le résumé, c’est l’histoire d’un corbeau et d’un renard. Devinez qui est qui.
SE FAIRE REPERER :
Sous-entendu, signer un contrat avec une maison de disques. Ce qui aujourd’hui ne veut plus dire grand-chose puisqu’il faut encore avoir une grosse base fan, des milliers de vues, etc… pour qu’un label pense même à vous écouter. Et qu’il faut être signé pour que la plupart des tourneurs vous considèrent. Et qu’il faut avoir un tourneur pour que la plupart des labels vous répondent. Il faut l’un ou l’autre pour que la majorité des médias/journalistes qui croulent sous les demandent, s’obligent à écouter votre œuvre. Vous voyez, d’un coup, vous aussi vous voulez vous faire repérer maintenant.
SORTIR UN DISQUE :
Fait référence à une date de sortie d’album, à savoir : la date à partir de laquelle l’album était traditionnellement disponible à l’achat dans les magasins de disques. Expression aujourd’hui utilisée par de nombreux artistes quel que soit leur niveau pour annoncer la seule disponibilité sur « iTouns » de leur « œuvre » en dehors de tout cadre promotionnel ou souvent d’intérêt du public pour icelle. Aux dernières nouvelles, sortie digitale se dit toujours « dans les bacs » pour certains. Lolilol.
TUBE (AUTRE FORMULE POSSIBLE « Ce titre est tubesque !») :
Terme qui remonte à l’époque où les cycles médiatiques étaient longs (traduire : interminables) pour désigner une chanson dont les propriétés intrinsèques étaient 1/ de plaire au plus grand nombre de personnes et 2/ de manière immédiate. L’expression a quelque peu évolué pour faire référence non plus au succès remporté par la chanson mais plutôt à son potentiel succès à venir.
Nuance qui mérite toute notre attention dans la mesure où un tube aujourd’hui ne fait plus référence qu’à un titre ayant réussi à cocher toutes les cases obligatoires pour passer sur nos ondes grand public (comprendre « Cette-France-qui-ne-se-nourrit-que-de-sons-cultivés-aux-OGM ») : courte durée (3’30 grand max) + un beat répétitif et contagieux dès l’intro + un refrain accrocheur avant les 30 premières secondes + paroles minimalistes (quand il y en a), le plus souvent en Anglais et dont personne ne comprend vraiment le sens. Côté voix, nos pauvres oreilles n’ont pu que prendre acte de l’émergence et la malheureuse permanence du ‘trafiquage’ de voix à l’auto-tune parce qu’il n’est plus requis de savoir vraiment chanter non plus, et puis l’émotion, le message, tout ça, c’était bon pour les ringards qu’admiraient nos vieux parce qu’ils n’avaient pas la télé en 1950, vous comprenez?
Malgré sa mutation subtile mais radicale ces dernières années, ce mot de vieux routard un peu dépassé n’a pourtant rien perdu de sa fréquence d’utilisation. Faute d’un meilleur terme, il est encore fort prisé par les DAs, directeurs de label et/ou chefs de projet lorsqu’ils projettent sur cette sombre merde un niveau de ventes leur permettant de se barrer de l’autre côté de la planète pour ne plus jamais avoir à entendre l’un de ses dérivés. …Cela dit, j’étais la première à l’utiliser. Mais ça c’était avant. CQFD.
UNIVERS :
1. Mot en voie de disparition qui désignait pourtant plutôt bien ce que devait être la base du développement de l’image et de la carrière de l’artiste : son univers. Mais en 2006, Diam’s a fait un carton avec « Dans ma bulle ». Depuis, il semblerait que le concept ait quelque peu saoulé tout le monde.
2. Terme également très « seventies » encore particulièrement en vogue dans les contrats de cession d’édition musicale types pour parler de l’étendue des territoires cédés par les auteurs-compositeurs. Le monde ne suffit pas. Non non, on ne sait JAMAIS ce qu’il peut y avoir sur d’autres planètes et galaxies à des années lumières d’ici. Il y a sûrement des éditeurs qui attendent patiemment qu’on débarque sur leur planète mais tant qu’on ne connaîtra pas leurs conditions, autant se blinder.
VICTOIRES DE LA MUSIQUE :
Cérémonie annuelle récompensant les meilleurs artistes de l’année. Bon, ça c’est sur le papier. Quand vous comprenez que les sélections des artistes nommés ainsi que les votes pour déterminer les gagnants se font au pro rata des parts de marché des producteurs (maisons de disques), vous vous étonnerez peut-être encore que ce soient toujours les mêmes qui raflent tout. Oops, pardon, mauvaise que je suis : sauf pour la catégorie « Vote du public » qui veut tout dire. Mention spéciale à leur capacité pour nommer et même faire gagner des artistes qui n’ont pourtant rien sorti ces deux dernières années. Ceux-là sont souvent tellement sûrs de gagner qu’ils n’ont pas pris la peine de jeter une oreille sur les jeunes talents nommés dans leur propre catégorie et les découvrent avec étonnement sur scène pendant l’émission. Véridique.
WTF :
Anagramme de « What The F*ck ?”. Censé exprimé la surprise à un degré marqué, l’incrédulité face à une action ou assertion en apparence absurde. Plus communément utilisé dans sa version d’anagramme pour appeler ses interlocuteurs à marquer un temps de réflexion ou poliment s’abstenir de dire explicitement ce que l’on pense, parce qu’en réalité, on le sait parfaitement.
X :
Esprit dans lequel 99% des artistes féminines sont amenées à mettre en avant leur « féminité » (comprendre nudité et/ou poses suggestives), au nom du fait que « ça vendra mieux » et que « ça séduit » le public. Faire la pute, en somme. Une artiste libre et indépendante qui réfléchit, s’exprime intelligemment dans ses chansons, mais quelle idée, ça n’a aucun intérêt. Au menu, donc : du porno même pas chic à tous les étages associé à de la musique du même niveau, sur toutes les ondes et tous les écrans à toute heure de la journée dans votre salon, dans votre bar préféré etc… (laissez tomber, vous n’y échapperez pas), sans que cela ne gêne personne, et pour finir, une génération de gamines qui s’enferment dans l’idée qu’elles ne sont « bonnes » qu’à cela.
Il était temps que les choses rentrent dans l’ordre tout de même. Spéciale dédicace à un patron de média condamné pour corruption de mineure, désormais martyr officiel de la liberté d’expression des jeunes.
YES / YALLAH / YEAH :
Expressions de soulagement heureux aux déclinaisons diverses employées par l’équipe autour de l’artiste lorsqu’une étape importante dans sa carrière vient d’être franchie. Permet des débordements de joie particulièrement démonstratifs ou au niveau sonore dépassant la moyenne.
Les temps étant durs et la fréquence des étapes importantes dans la carrière de l’artiste s’étant fortement ralentie, ces expressions ont en toute logique commencé à être employées à tout va. Exemple : si vous avez la chance de faire partie d’une équipe où 5 personnes travaillent en relation avec les médias sur 20 projets différents vous recevrez un mail pour chaque chose qu’elles réussissent. YES ! Encore mieux lorsque le service complet est constitué de 15 personnes qui se sentent toutes obligées de soutenir moralement leurs collègues par mail (en « répondre à tous » bien sûr - le soutien se doit d’être ostensible). YALLAH !!!!!
Grosse fatigue visuelle d’un coup. Peut-être que le mec à la fab devrait écrire à tout le monde lorsqu’il a réussi à envoyer l’album à l’usine dans les temps ou le chef de projet se gausser d’avoir fait un plan marketing tout bidon avec plein de mensonges dedans. Normal, quoi. En fait, le DRH devrait plutôt convier tout le monde à boire le champagne parce qu’il a payé toute la boîte en temps et en heure. Y’a pas de raison. YEAHHHHHHHHHHHHHHHHHH !
ZZZZZZZZZZ… :
Quoi – vous êtes encore là ? Oh…Mais non, il ne fallait pas. Ça me touche beaucoup, beaucoup trop. Larme. Soupir. Mais puisque vous insistez alors hein (inspiration) j’aimerais remercier Dieu, sans qui le monde, les éléphants et les petites fleurs n’existeraient pas. Et ceux sans qui je ne suis rien : mes voisins, le facteur et le chat de la gardienne…ZZZZZZZZZZZ… (-- en profiter pour filer --).
Si vous aviez raté les deux premières parties du lexique, c'est ici :
Petit lexique secret à l'usage des musiciens (1/3)
Petit lexique secret à l'usage des musiciens (2/3)
Emily Gonneau / Unicum Music