Les douze travaux d’Odezenne
Ou leçons de DIY à l’usage de ceux qui veulent bien les prendre...
On a beau essayer de vous donner quelques trucs et astuces à longueur de posts, parfois il suffit d’observer. Au rayon de ceux qui ne donnent pas de leçons mais dont on en prend quand même, Odezenne se pose bien haut dans le classement des détenteurs des bons ingrédients du DIY. Retour en quelques points fulgurants, sur un savant mélange d’abnégation, de galère, de vision, et d’une réussite qui leur colle de plus en plus aux basques. Le tout animé par une violente douceur, indépendante...
>> Dénigrer les classifications
Même si chaque formation compte son lot d’influences, on retrouve souvent dans les trajectoires exponentielles qui guident les groupes comme Odezenne vers le haut de l’affiche, ce caractère atrocement compliqué à décrire. Certes, leur nom est souvent rattaché au hip hop, amours historiques et premières chroniques obligent, mais si même dans Télérama on les dit inclassable, c’est bien que tout le monde s’y perd. Ou plutôt de plus en plus, s’y retrouve.
>> Indé avant même de commencer
Le groupe a créé son label Universeul en 2007, alors même qu’ils n’en étaient qu’à leurs balbutiements musicaux. C’est la meilleure preuve d’une forme de vision à l’époque, en tout cas d’un goût même contraint, pour une certaine idée de l’indépendance qui ne se perd pas en concessions.
>> Aller se faire enregistrer ailleurs
En l’occurrence à Berlin, ce qui ne coûte pas forcément plus cher que d’aller enregistrer à Vezoul, Rosporden ou Sarlat, bien que pour eux l’expérience ait duré plusieurs mois. En tout cas cette expatriation permet cette bulle d’oxygène favorable à la création, cette fuite de tout ce qui peut contraindre la musique, cette prise de risque ultime aussi : s’ouvrir à un monde que l’on ne maitrise pas.
>> Et en profiter pour faire de l’image, pour faire du groupe un média à part entière
Plus besoin d’attendre le relais technique et la propulsion mécanique de quelques crèmeries médiatiques, le groupe façonne sa propre image à coups de captations, de photos reportages, et même d’un docu tourné à l’occasion de l’enregistrement de leur dernier album. Ils ne l’ont pas inventé mais l’utilise à merveille : le poids des mots, le choc des vidéos.
>> Des clips, pour faire vivre encore plus leurs titres
Déclinaison logique du point ci-dessus, plusieurs réalisateurs ont aidé les trois larrons à esquisser le grain d’un univers aujourd’hui plébiscité. Quelques mois à peine après la sortie de leur dernier album, il compte déjà quatre "vidéomusiques" comme on dit chez les sociétés civiles. De quoi ajouter quelques autres dimensions à une galette.
>> Des versions instru, pour laisser au son la place qu'il mérite
Arcs et dimensions toujours, le groupe a souvent proposé des versions instrus de ses titres, comme pour montrer à quel point les arrangements n’étaient pas qu’un support aux voix, mais bien une œuvre à part entière. Manière également de s’ouvrir à de potentiels remix, ou pour les plus fous à d’impromptues soirées karaoké.
>> Une chaine youtube à eux, pour tout ramener dans leur giron(din)
Le groupe n’est pas né de la dernière pluie acide, il est né à Bordeaux il y a une dizaine d’années. Et pourtant si l’on se réfère aux usages du web de l’époque, peu de formations aussi indés pouvaient se targuer de maîtriser si bien les Facebook et autres Youtube. Résultat, leur chaîne héberge plus d’une centaine de vidéos et collectionne les millions de vues, ce qui ne paraît pas si étonnant quand on sait que leur premier album « Sans Chantilly » (pressé à 1000 exemplaires à l’époque) squattait déjà la home de Deezer il y a… huit ans.
>> Miser sur la scène
Tout comme un paquets de groupes bien connus avant eux, Odezenne a écumé des dizaines de lieux plus ou moins identifiés, pour tisser date à après date, un réseau de fans d’autant plus vertueusement hardcore que conscients de devoir plus cette découverte musicale à eux mêmes et à leurs usages des réseaux, qu’à une recommandation de tel ou tel faiseur de gloire.
(c) Yann Rabanier pour Les Inrockuptibles
>> Faire parler les réseaux
Parcourez la page Facebook du groupe, et vous verrez qu’il est très rare que le moindre petit commentaire de fan qui interpelle reste sans suite très longtemps. Ca peut paraître évident, mais on n’imagine sans doute pas à quel point ça doit demander temps et organisation, et surtout combien cela renvoie au public l’impression qu’il est considéré pour ce qu’il est : la raison de vivre du groupe.
>> Des productions de concerts maison
Blinder un Olympia tous seuls comme des grands en mars 2015, sans passer par une agence de booking ou un producteur professionnel qui assumera les risques, ou empochera les bénéfices d’une telle soirée, est un challenge que très peu de formations ont relevé. Eux l’ont fait, et cette petite part d’inconscience est certainement ce qui caractérise l’un des ingrédients majeurs de cette réussite. Depuis, le groupe se paie le luxe de lancer la location de concerts parisiens dits secrets en pleine tournée, concerts dont les places ne sont trouvables que sur son site, et dont on ne connaît même pas le lieu. Evidemment tous complets. Maîtrise on vous dit.
>> L'inversement des rapports entre programmateurs, groupe et public
Odezenne a crée en 2013 via Facebook un concept participatif baptisé "Odezenne à la demande". Le but de la manœuvre est simple, puisque leur impression est qu’ils sont plus connus du public en régions que des programmateurs des salles de France et de Navarre, ils vont créer des évènements Facebook ouverts, incitant leurs fans à partager l’idée d’une date dans telle ou telle ville, afin de coller une douce pression aux différents programmateurs de celle-ci, et leur faire comprendre que plusieurs milliers de personnes demandent expressément une date. C’est ainsi que des shows à Lille, Bordeaux, Marseille, Toulouse, Montpellier ou encore à Lyon seront finalement programmés, ou plutôt obtenus. Victoire.
Des concours à chaque concert
Dans la même idée d’associer le public local à chaque date et ne pas se positionner comme un groupe éminent qui regarde ses fans de haut, Odezenne propose très régulièrement des concours permettant aux retardataires, aux sans-le-sou, aux gourmands, de grappiller une place en plus. Sympa.
Reste aujourd’hui au groupe, si tant est qu’il ait atteint les sommets d’une inatteignable gloire dont beaucoup leur montrent aujourd’hui le miroir, à conserver la sincérité et la qualité de toutes ces démarches et continuer à noircir les pages d’une histoire déjà bien riche. Car comme le disait Alix à Tsugi en guise de rappel : « On ne s’est pas réveillés un matin avec un million de vues, le parcours a été long. C’est comme faire rouler un petit caillou qui grossit au fur à mesure. On se bat au jour le jour”.
Vous ne connaissez pas Odezenne ? Vous connaissez, mais préférez les leçons de DIY de Nicole Croisille ? Sussurez-nous des commentaires, ou prenez le temps de nous contacter sur le blog par ici, ou en questionnant directement l'auteur par là.
L'auteur : Cousin Cool se situerait dans la carrière musicale entre Père Castor, Cousin Machin et Daddy Cool. 30 ans qu’il traîne sa carcasse barbue dans les salles et les studios en tant que bassiste, ingénieur du son et régisseur. Du nord au sud de l’Europe, de l’est à l’ouest de l’Amérique, Cousin Cool a bossé avec les plus grandes divas comme avec les pires crasseux. Dans la famille Cool, il n’a jamais été père ou a refusé de le(s) reconnaître. Mais chez les Cool, on est dans le son de la tête au pied, de père en fils depuis une génération, et peu importe si celui de Cousin l’a abandonné à la naissance. De cela comme de tout sauf du son, Cousin se fout complètement et on le lui rend bien.