UN JOUR PEUT-ÊTRE - DOCU HIP HOP
"Faire connaître une scène innovante, qui a eu une réussite incontestable mais qui n’a pas connu de véritable succès populaire et financier"
Une fois n'est pas coutume, on parle ciné dans le blog, à l'occasion de la sortie d'Un jour peut-être", un docu pointu et rafraichissant qui dresse un intéressant portrait de la scène rap alternative actuelle. Présentation du projet et réponses avisées de la part d'un trio de réalisateurs, qui vous offrent six places en fin d'article pour l'avant-première du film qui aura lieu à Paris le 13 février prochain à la Belleviloise !
Salut messieurs, pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
François Recordier : Je suis pizzaïolo et grand amateur de rap. J'ai grandi avec cette musique en province. Avant internet, ma culture hip hop était assez limitée, cloisonnée à quelques CD de rap ou autre distribués dans les supermarchés : j'ai écouté L'école du Micro d'argent à 11 ans, à la borne d’un Continent. Un vrai choc. Du coup je connais la piste 1 par cœur. Avec internet, j'ai revu la copie mais version américaine. Dans la foulée, je suis allé voir ce qui se passait en Europe et dans le monde. Je peux te citer des groupes de rap dans des pays incroyables. Après Groove et RER, j’ai découvert Clark et 90BPM. Je retrouvais des artistes que j'avais chopé sur Soulseek et que je pensais naïvement être le seul à connaître ! La plupart des rappeurs de notre docu y sont passés d’ailleurs.
Antoine Jaunin : Je suis journaliste depuis 2009. J’ai été pigiste dans différents canards, je bosse à Montreuil depuis quelques temps. En 2011, Romain voulait faire un documentaire sur le rap alternatif, il m’a proposé, on s’est lancé dans l’écriture du projet.
Romain Quirot : J’ai eu envie de faire des films en voyant Star Wars, épisode IV à 5 ou 6 ans. Je ne comprenais pas pourquoi ça commençait par l’épisode 4. J’ai longtemps cru qu’une première trilogie existait. C’était devenu mon Graal : je vérifiais à chaque fois que j’entrais dans un vidéoclub. Quelques années plus tard, Jar jar Binks a débarqué et j’ai perdu foi en l’humanité.
Vous venez donc de réaliser un film sur le hip hop tous les trois, êtes-vous avant tout des fans du style qui cherchiez à en témoigner, ou des réalisateurs de docus qui êtes tombés sur un sujet particulièrement intéressant ?
R.Q. : Ni l’un ni l’autre. En fait, l’envie m’est venue après avoir découvert les documentaires de réalisateurs de fiction comme Scorcese ou Herzog. Le mec est capable de faire un film sur un flic déchaîné et complètement défoncé (The Bad Lieutenant: Port of Call New Orleans) avant d’enchaîner avec un documentaire sur des peintures paléolithiques d’une grotte en Ardèche ! J’ai compris que finalement le sujet importe peu, tant qu’il y a une bonne histoire à raconter. Et comme j’aime la musique et que j’en avais marre d’entendre « j’écoute de tout sauf du rap », j’ai pensé qu’un docu sur ce mouvement, traité à contre-courant, pourrait valoir le coup. J’ai appelé le seul journaliste que je connaissais. Un mec fan de rock psychédélique.
A. J. : Contrairement à François, qui dort avec les albums de La Caution sous son oreiller, je n’ai jamais été fan du rap « alternatif ». A part les Svinkels, que j’ai pas mal écouté il y a dix ans. Je me rappelle être allé au Furia Festival en 2004 juste pour les voir… Ils s’étaient fait copieusement siffler par un public rock pas vraiment habitué à voir des types s’agiter sans zicos. Quand Romain m’a parlé du projet, j’ai trouvé la démarche de ces types intéressante, entre intransigeance artistique et utopie.
F.R. : Je suis un fan de pleins d'aspects du rap, et j'ai été touché par ces artistes. Alors quand Romain m'a proposé le projet, j'ai fait quelques allers-retours à Paris et quand j'ai compris que je ne pourrais pas travailler à distance, je suis monté pour de bon.
N'est ce pas compliqué de réaliser un documentaire à trois ?
F.R : Oui ça l'est, d'autant que c'était le premier pour chacun de nous.
R. Q. : C’est vrai. Et puis, on a fait ça de façon totalement indépendante. Du coup, tu te sens hyper libre mais tu peux aussi faire n’importe quoi sans que personne ne te recadre. Tu perds du temps à faire des blagues, tu te disputes et t’avances lentement. Après avoir perdu un peu espoir, on a mis en ligne le teaser en décembre 2012, un peu comme une bouteille à la mer. Le public a super bien réagi. C’est à ce moment qu’on a compris que ça valait le coup de finir le docu. Un peu plus tard, Cotone Productions est venu à notre rescousse pour terminer ça proprement.
Comment vous êtes vous organisés ?
A. J. : On partait en trio à la rencontre des rappeurs, dans les bars, les salles de concert et de répétition. Je posais les questions, Romain filmait et on trouvait toujours un pote disponible pour faire les prises de son. Ensuite, on a tous bossé ensemble sur le montage, François partait à la recherche d’archives, etc.
R.Q. : Pour les interviews, on fonctionnait un peu comme un duo de flics. Antoine avait la main et jouait le rôle du mec sympa - à qui les artistes se confiaient - et moi, caché derrière les caméras, j’intervenais surtout quand ils évitaient un sujet ou contournaient une question.
> James Delleck
Aviez-vous déjà travaillé ensemble ?
F.R. : Je connais Romain depuis la fin du lycée et on avait déjà travaillé ensemble avec pleins d'autres potes sur des courts-métrages à la fac.
R.Q. : Avec Antoine, c’était une première. Sinon j’ai tourné des courts avec à peu près tous mes potes au lycée ou à la fac. François avait notamment joué le rôle d’un dealer dans un court de 17 minutes en faux plan séquence, pompant allègrement Pusher de Nicolas Winding Refn.
A. J. : Je n’ai pas vu Pusher mais je peux vous dire que François était très bon.
Le film s'appelle "Un jour peut-être, l'autre histoire du rap français", ça veut dire que c'est laquelle l'autre, si ce n'est pas celle là ?
F.R : La réponse n'est pas aussi simple, car chacun a « son » histoire avec le rap. Ce documentaire permet de faire connaître une scène innovante, qui a eu une réussite incontestable mais qui n’a pas connu de véritable succès populaire et financier. Sans langue de bois, pour moi, l’autre histoire est celle de la scène mainstream, qui s'est essoufflée au début des années 2000. Je ne me reconnaissais plus dans les textes trop simples ou trop éloignés de moi. La G-Funk et le Boom-Bap étaient sur la fin - c'est revenu depuis - et je n'étais plus en adéquation avec les instrus de l'époque, qui se ressemblaient toutes, avec des boucles déjà bien connues.
A. J. : On a voulu montrer à ceux qui ne peuvent pas encadrer le rap, car ils se contentent des stéréotypes qu’on leur sert, qu’à une époque des mecs avaient voulu partir à contre-courant de cet essoufflement, de cette dérive, en créant un univers différent, à la fois dans les textes et dans les sonorités.
R. Q. : Il n’y a pas que deux histoires du rap. Il y en a plein. Et en fait, toutes ces histoires ne forment qu’une seule et même histoire. On aurait pu faire un docu sur le rap mainstream, le rap chelou, le rap indé, le rap parodique… C’est large.
Comment qualifieriez-vous le rap "alternatif", et que répondez-vous à ceux qui le taxent de rap de hispters, voire d'intellos ou de bobos ?
F.R. : Le rap « alternatif » ne définit pas un genre en particulier. Il n’est pas homogène, c’est plutôt une catégorie de rappeurs qui essayent quelque chose de différent de la mode. C'est aussi un rap qui assume le risque de ne pas plaire au public rap du moment, ou alors s'en fout totalement. J'ai tendance à l'imaginer comme un labo du rap du futur... Dans les années 2000, j'ai apprécié l'audace du projet Electro Cypher d'Akhenaton mais pour un souffle nouveau c'était un peu raté… Un peu plus tard est sorti Il était une fois de La Brigade, avec des instrus electro complètement folles, un feat. avec Mass Hysteria… Bref, les mecs tentent et ça marche parfois plutôt bien : pour moi c'est aussi du rap alternatif.
A. J. : La plupart des rappeurs qu’on a interviewés dénigrent le terme « alternatif » qui, par définition, les met en marge des autres. Certain comme James Delleck ou La Caution se sont juste sentis à l’étroit dans le rap « street ». Ils ont alors exploré d’autres horizons pour s’exprimer. Traitez-les de « bizarres » ou de « chelous », vous verrez qu’ils le prendront mal ! Du coup, ils ont touché un autre public, plus étudiant, plus varié. Et les étudiants d’hier sont devenus des trentenaires branchés assez contents de se faire un trip nostalgique aujourd’hui.
R.Q. : Après c’est clair que ces rappeurs « alternatifs » ont ouvert cette musique a un public qui n’aimait pas forcément le rap.
Le rap n'est-il pas aujourd'hui si vaste que comme lorsque l'on parle de rock ou d'electro, on se noie dans un terme flasque qui évoque autant de bouses commerciales que de pépites indés ?
F.R : Si, à fond.
R.Q. : Exactement. Sauf qu’à la différence des Etats-Unis, j’ai l’impression que ça reste un univers cloisonné en France. On n’est pas près de voir un album aussi arty/chelou que le dernier Kanye West en haut des charts. A moins que la nouvelle génération arrive à défoncer ces barrières entre le rap mainstream ultra-codifié et un rap plus évolué/recherché.
> Grems
Qu'est ce qui différencie selon vous l'approche d'un groupe de rap par rapport à celle d'un groupe de chanson française, de reggae ou de métal ?
F.R : Pas grand chose, si l'artiste s'amuse à brouiller les pistes... Je trouve pas ça très important en fait.
A. J. : Les rappeurs qu’on a rencontré sont unanimes : ils ont tous ressenti le besoin de s’exprimer sans se questionner sur le choix du média qu’ils allaient adopter. Pour James Delleck, à Vitry, c’était soit le rap soit le foot ! L’approche est donc la même : ces types auraient pu faire du rock, de la natation synchronisée ou de l’aquarelle, ils ont choisi le hip hop, car c’était dans cette culture qu’ils baignaient, qu’ils viennent de Noisy, Paris, Versailles ou Vitry.
Quelle est le but, l'ambition de ce film, tant au niveau cinématographique que par le public que vous ciblez ?
A. J. : L’idée n’était pas de faire un objet spécialement pour les fans : on pense qu’ils n’apprendront rien de ce qu’ils savent déjà, même s’ils pourront être contents de retrouver tous ces rappeurs dans un même projet.
R.Q. : C’est un premier documentaire. On a appris plein de choses, commis des erreurs qu’on ne reproduira plus. Donc non, on ne vise pas les Césars… La vraie ambition du truc, comme le dit Antoine, c’est de raconter cette histoire au plus grand nombre, aux fans et surtout à ceux qui ne la connaissent pas.
La question cruciale, c'est quoi la différence entre un bon et un mauvais rappeur ?
F.R : Ca dépend… Pour moi un mauvais rappeur, c'est un mec dont tu as cherché les sons, que tu as essayé d'écouter et à chaque fois tu te dis : « - L'instru serait tellement mieux s’il ne rappait pas ». C’est aussi un mec qui ne progresse pas.
RQ. : Trop de trucs rentrent en compte dans l’alchimie d’un bon morceau. Après, c’est sûr qu’un mec qui vit au milieu des vaches et qui parle de guns et de grosses caisses devrait réfléchir à l’authenticité de sa démarche. En même temps, si c’est pour faire du Kamini…
> Teki Latex
Après une telle étude d'un certain milieu hip hop, quels conseils donneriez-vous à de jeunes groupes qui veulent se lancer dans le style ?
F.R. : Noter les sons et continuer les recherches. C'est de la spéléo en fait. Inspirez-vous. Récemment j'ai vu une interview de Madlib (un producteur de fou) : il a pioché dans la bibliothèque de vinyles de Radio France et c'était impressionnant de voir la diversité de styles de morceaux qu'il a fait écouter (l'interview est sur Dailymotion). Pour les flows, c'est pareil. Il faut savoir qu'il y a des rappeurs partout dans le monde…
R.Q. : Achète notre dvd. On mettra plein de bons conseils dans les bonus.
Vous organisez le 13 février prochain une avant-première du film à la Bellevilloise, en quoi va consister cette soirée au delà de la projection du film ?
A.J. : Après la diffusion du docu, certains des artistes qui y apparaissent viendront faire des morceaux.
R.Q. : Le truc est en train de s’organiser mais on espère de belles surprises.
Et quelle sera la suite, en ce qui vous concerne ?
F.R. : Ouvrir une pizzeria dans le sud.
R.Q. : Plein de projets. Notamment un autre documentaire.
A. J. : On pourrait faire un docu pour savoir ce que devient Jar Jar Binks.
Et pour finir, la question traditionnelle : quelles sont vos dernières claques musicales, album et live ?
F.R : J'ai adoré l'album Lone Sharks des Dopplegangaz (ils en ont sorti d'autres depuis) et l'album Key to the Kuff de JJDOOM. En France, l'album Itinéraire Bis de Flynt.
A. J. : Tudo Bem, le dernier album de Set&Match : des MC’s qui apportent une fraîcheur au rap grâce à leur talent et au soleil de Montpellier.
R.Q. : Le dernier Kanye West, Reflektor d’Arcade Fire et Son Lux.
13 février à la Bellevilloise :
- Au festival Hip Hop Session, à Nantes, le 17 avril, au cinéma Le
Cinématographe, à 20h30 (http://www.hipopsession.com/bands/94-un-jour-peut-tre )
- Au festival Urbaines, à Rennes, au cinéma TNB, le 8 mars à 18h.
- Le 19 mars, à Bruxelles, dans le cadre du festival Lézarts Urbains :
http://www.lezarts-urbains.be/article.php?articleId=2643
- A Lille, le 26 avril, à l'Hybride.
Le film va ensuite faire la tournée des cinémas : Poitiers, Lyon,
Bruxelles, Besançon, mais les dates ne sont pas encore calées... Toute
l'info sera en ligne sur : https://www.facebook.com/unjourpeutetredocu?fref=ts
BONUS !!! Pour les motivés, six places pour la soirée de la Bellevilloise sont à gagner, offertes par Cotone Productions et ConfliktArts. Pour remporter un de billets, il suffit de vous inscrire à la news ci-dessous, vous recevrez un mail d'ici peu si vous êtes tirés au sort !