Petit lexique secret à l'usage des musiciens (2/3)

"Le jargon de la musique de I à P "

Nous continuons cette semaine avec la deuxième partie du « Petit lexique secret à l'usage des musiciens » réalisé par Emily Gonneau de Unicum Music . De « l'interview web » aux « professionnels », voici donc une petite dizaine de définitions précises et grinçantes à propos de l'industrie musicale (tiens d'ailleurs, c'est quoi « l'industrie musicale »?).

 

Lexique musical

 

INTERVIEW WEB :

Terme souvent employé par des personnes travaillant en maison de disque pour faire référence de manière indifférenciée à un/e blogueur/euse réputé/e ou un fan, improvisé gérant de fanclub de l’artiste, lorsque l’on doit remplir le planning d’un artiste international de passage pour une date dans la capitale et que l’on n’a pas fait son travail ou pas eu de retours intéressés des médias traditionnels (radio, télé, presse).

 

INDUSTRIE MUSICALE :

Concept chimérique, inexistant pourtant utilisé à tout bout de champ par les tenants du « libre » et autres « rebelles » sur les forums comme si le lobby de l’industrie musicale était le chef d’orchestre d’un immense complot visant à les empêcher d’écouter de la musique gratuitement. Généralement assimilé dans la confusion la plus totale au mot « Majors », lui-même le plus souvent affublé de l’abjectif épithète « Méchantes ». Mythe total au vu de l’absence pathologique de solidarité entre lesdites « majors », plus concentrées sur les dernières miettes du gâteau qu’a su récupérer l’une d’entre elles que de trouver des solutions à long-terme qui pourraient « sauver » tout le monde. Cela ne les a pas empêchées de s’auto-proclamer porte-paroles officielles de toute l’industrie musicale. Avouez que grâce à elles, vous comprenez maintenant enfin ce qu’est ‘le comique de situation’.

 

JEUNES :

Seule et unique cible marketing prise en compte par les marques et les médias lorsqu’ils cherchent à signer, développer ou collaborer avec un artiste. Sur un CV, c’est toujours mieux de se positionner en grand/e stratège de la jeunesse pour montrer qu’on est une force vive sur laquelle l’entreprise peut compter pour anticiper les tendances et lancer le produit de toute une génération. Les vieux, ça n’a aucun intérêt. Ils réfléchissent avant d’acheter, comparent les prix, ne gobent pas un traître mot de votre argumentaire marketing et ont passé l’âge de prendre en compte l’avis de leurs pairs. Franchement, c’est pas glamour. Rentable, peut-être, mais vraiment pas glamour.

 

Les jeunes sont apparemment tous, de par leur âge, une masse uniforme et compacte qu’il faut appâter avec le plus simple dénominateur commun. Exigences intellectuelles et rigueur de travail réduites à leur plus simple expression, dans les deux sens du terme.

 

Jeune, tu es moche, tu veux des amis ? Tu dois donc avoir l’air cool. Ne t’en fais pas, nous avons toutes les solutions. Pour arriver à tes fins, parle fort, rigole fort, donne l’impression que tu te trouves génial/e et ça viendra. Fais comme dans les clips des artistes que tu aimes et les animateurs des radios que tu écoutes. Ta vie n’est rien d’autre qu’une énorme teuf en continu, une « win » sans fin. C’est encore mieux si on peut te suggérer une grande et belle cause pour laquelle ta mobilisation et ta participation à la révolte est in-dis-pen-sable. Genre, la LibRT d’Xpression. C’est toujours ‘un moment historique’ et ton sens du collectif en sortira grandi. 15 ans plus tard, tu n’auras pas du tout l’impression d’avoir été pris pour un con.

 

K :

K = 1000. Très utilisé dans les plans marketing : K€, ça pèse. Que les budgets ne soient pas exactement ceux annoncés n’a aucune espèce d’importance. La personne qu’il faut convaincre en face veut du lourd (généralement l’artiste, flatté/e de voir autant d’argent mis sur la table pour son projet), alors soit, on va lui en mettre plein la vue. Les chiffres annoncés sont toujours mirobolants.

 

Il y a juste une toute petite chose qu’on ne vous dira pas à moins que vous ne le demandiez : valorisation nette ou valorisation brute ? La première est le prix réel de la campagne payée par le label, la seconde est le prix estimé que vaut l’achat d’espace (gracieux compris…), qu’il aurait coûté à l’artiste s’il/elle n’avait pas la chance inouïe d’être signé/e chez votre tout dévoué. Sachant que le brut peut valoir entre 5 et 10 fois le net, vous commencez à vous faire un semblant d’idée de l’envergure que représente l’opération séduction envers l’artiste. On constate ces derniers temps une tendance à la baisse des budgets marketing, les labels signant moins d’artistes du genre à réclamer des sommes astronomiques parce que ça les rassure.

 

Qu’à cela ne tienne, on se console en multipliant les stats tout aussi exhaustives qu’inutiles pour donner l’illusion que la crise, ça n’arrive qu’aux autres et que l’aisance financière est toujours de mise : « Artiste-au-nom-trop-cool : 1er single « Nom-de-chanson-qui-fait-super-rebelle » : déjà 50,000 followers sur Twitter en 2 jours, 10,000 pages vues sur le net, 5,000 clics vues sur Youtube et 2,000 fans sur Facebook. » [Sérieux : qui a parlé de robots ?] Bon là, le ‘K’ a disparu ; c’est trop rabat-joie.

 

LIVE :

Mot miracle entendu dans tout dîner en ville digne du nom, le plus souvent dans la bouche d’un non-expert s’intéressant au sujet en sa qualité de gratte-papier-de-luxe-dans-un-job-ultra-bien-payé-mais-vraiment-pas-très-cool : « Mais on s’en fout de la crise du disque, l’avenir, c’est le live ». C’est bien. C’est aussi sans compter sur toutes ces dates où pour commencer, tu n’es jamais payé/e, voire : tu t’endettes à avancer les frais d’essence, de bouffe, de ton temps aussi pour jouer dans des endroits pouraves – gratuitement, bien sûr – afin de te vanter d’une longue liste de concerts sur ton site internet ou ton (feu) Myspace pour faire croire que tu es super populaire. Ne parlons pas de « l’ingé son » du lieu, jeune bénévole parachuté au vestiaire qui cache à peine sa terreur lorsqu’il découvre la console pour la toute première fois de sa vie et, du coup, ce qu’on attend vraiment de lui. L’action se passe toujours une demi-heure avant ton concert bien évidemment. Ah oui, j’oubliais : maintenant, il y a même des gérants qui vous facturent la location de leur salle en plus d’une ponction sur le prix d’entrée. Et puis faut pas pousser, les consos c’est pour eux aussi bien évidemment. (« Euh – et sinon, vous déclarez la date à la SACEM, histoire que je touche au moins quelques centimes d’euros de droits d’auteur ? » / « Haha, et puis quoi encore ? » / C’est vrai, suis-je bête !…) Faut les comprendre : ils prennent quand même tous les risques. A leur place, j’aurais déjà fait assurer mes tympans. Un accident du travail est si vite arrivé, n’est-ce pas ?

 

MAC/APPLE :

Entreprise américaine née dans les « eighties » à la suite d’un coup bas ayant mis fin à l’amitié de deux geeks qui bricolaient des trucs dans un garage. Après avoir compris avant tout le monde que l’avenir de la musique passerait par la technologie, dont l’avenir à elle passerait par le design (pouvant ainsi contourner la notion rassurante de garantie constructeur sur la durée de vie de leurs produits), MAC/Apple a lancé une vaste opération de séduction auprès de tous les aspirants geeks 2.0 de la planète pour les convaincre qu’acheter leurs produits les rendaient automatiquement cools et uniques. Vu les chiffres de vente des produits Apple dans le monde, ça fait quand même beaucoup de personnes cools et uniques. Surtout lorsqu’elles tiennent toutes le même discours au point de ne vouloir se coopter qu’entre elles et prendre toute personne se rendant compte que MAC/Apple est plutôt du genre à faire tout le contraire de ce qu’elle prône (tendances monopolistiques, anyone ?) pour un/e indécrottable loser/euse. Avec un peu de chance, si les ventes s’essoufflent, ils pourront toujours se convertir en secte. C’est très lucratif et la conversion est presque déjà finalisée (…Quoi ? Certains d’entre vous n’auraient donc jamais entendu parler de Cupidtino ?!).

 

NO LIFE JUNIOR (aka CHEF DE PRODUIT) :

Personne travaillant dans un label chargée de coordonner la sortie commerciale d’un disque. Autre terme souvent employé en fonction des cultures « maison » dans les labels : « Chef de projet » (déjà plus chic). La latitude donnée au chef de produit autour de sa sacro-sainte mission est fonction du nombre d’échelons hiérarchiques entre lui/elle et le directeur marketing, combiné au degré de panique générale au sein du label à propos de son avenir dans une industrie en déclin. En gros, plus ces deux facteurs sont élevés, moins la latitude est grande (oubliés des réunions forecast, commerciales ou relevant un tant soit peu de la stratégie d’ensemble sur la sortie, dont ils sont pourtant encore nommément les « chefs »). Il arrive très souvent qu’à ce stade très répandu, une entité mieux placée dans la chaîne de décision décrète un jour que la dernière tâche ingrate du moment sera désormais « donnée aux chefs de produit » parce que c’est bien connu, saisir des bons de commande et booker des hôtels, « ça fait aussi partie de leur boulot ». Mo-ti-vés ! A leur décharge, leur salaire de misère paraît beaucoup plus conséquent au vu de ces nouvelles responsabilités. Sans compter que leurs soirées sont aussi réquisitionnées d’office pour accompagner l’artiste sur les plateaux télé ou gérer la liste d’invités au début des concerts. Du coup, cela ne leur laisse pas vraiment d’autre choix que de s’entendre vraiment très bien entre eux et de passer leur vie ensemble. Comme diraient certains : « Ya pas que la vraie vie dans la vie ». Au point qu’un soir d’automne 2007, quelques uns de ces jeunes se sont regroupés sous le noble nom de « No Life Juniors ». Je leur dédie ma reconnaissance éternelle. You know who you are.

 

OPTION :

Ne fait absolument pas référence ici aux moyens imaginés par votre opérateur mobile pour vous (nous) extorquer quelques euros de plus par mois sans que cela soit trop douloureux ou visible. L’option c’est un peu le principe de réciprocité appliqué au long-terme, à cela près qu’au fil du temps, on l’a figé pour le transformer en fer de lance protectionniste, facilement localisable dans l’une des clauses du contrat discographique entre l’artiste et son label. 

 

Le principe à la base était simple et juste : ce dernier s’engageait à enregistrer, sortir et promouvoir l’album de l’artiste et obtenait en échange un droit de regard préférentiel sur la concurrence pour le suivant. Ainsi, le label ayant pris le risque/ayant cru en l’artiste en premier, évitait que la concurrence ne rafle tout le capital de notoriété qu’il avait construit autour de lui/elle et lui permettait de poursuivre à long-terme le développement qu’ils avaient commencé ensemble dans la félicité la plus totale.

 

Mais derrière cette noble configuration, de nombreux amateurs se sont improvisés ‘labels’ (souvent électro) sur un coup d’égo et se sont tout juste engagés envers leur ‘ami’ d’artiste à sortir son titre ou album en digital. Grosse faveur. Dalida chantait si bien. Paroles, paroles, paroles… Point d’avance. Point de budget promo ou marketing. (« Les temps sont durs, il faut comprendre »). Taux de royalties limitées à celle d’un contrat d’artiste plutôt qu’au niveau d’un deal de distribution. (« Vous profitez de la visibilité et la crédibilité de notre marque, quand même »). Magistral tour de passe-passe donc, qui ne leur coûtait rien mais leur constituait du catalogue et valorisait leur label.

 

Ces petits malins (toutes catégories confondues, affolez-vous), ont filé la métaphore jusqu’au bout en faisant preuve d’un pragmatisme et d’une finesse psychologique assez exceptionnels : inclure une option dans le contrat ravissait les artistes, tout flattés que quelqu’un soit prêt à s’engager sur une œuvre encore inexistante. Dans la liesse générale, ils ont oublié d’évoquer un gros poil à gratter : si la collaboration se passait mal, l’artiste restait quand même dépendant de leur bon vouloir pour l’album suivant. A moins d’accepter de leur céder quelques droits supplémentaires (les éditions, le plus souvent). (« Les temps sont durs, il faut comprendre » bis ou « Je ne peux pas travailler sans » presque plus franc du collier).

 

Et c’est là que l’option prend tout son sens, magnifiée dans des contrats types trouvés sur le net que nos héros ont adaptés en enlevant les clauses les obligeant à donner une contrepartie à l’artiste pour la cession de ses droits. Bref, vous connaissez maintenant la petite histoire de l’option et comment celle-ci est devenue leur petit pécule de sécurité au cas où l’artiste s’apercevrait qu’ils n’ont rien foutu et qu’il/elle n’a aucune chance de jamais faire carrière tant qu’il/elle est signé chez eux. Un grand bonheur n’arrivant jamais seul, le PROFESSIONNEL (catégorie 1) est systématiquement offert. La maison fait crédit.

 

PIRATES :

Statut généralement auto-proclamé par des no-life qui invoquent la liberté (voire leur « droit à la liberté » wtf ?) à tout bout de champ et qui se donnent bonne conscience en se prenant pour les justiciers du net, afin de satisfaire leur radinerie la plus basique. Oublient ou refusent d’inclure dans leur raisonnement que l’artiste est souvent le premier pénalisé par leurs actes, mais s’en considèrent néanmoins les premiers soutiens. Voient tout profit comme une déviance morale grave, un atavisme dangereux qu’il faut bloquer coûte que coûte. Leurs convictions profondes s’attachent souvent en laisse à l’entrée d’un magasin Apple en attendant d’être récupérées à la sortie. Stade de développement mental moyen : ado voire pré-ado. Signe distinctif : se prennent très rapidement les pieds dans les différentes notions qu’ils manient dès qu’un débat dure plus de 3 minutes. A ne pas confondre avec les rares mais vrais tenants du libre au discours cohérent, qui se bougent pour changer les choses et dont le discours mérite qu’on s’y intéresse.

 

PROFESSIONNELS :

Se distinguent en deux catégories. La première : beaucoup d’appelés. La seconde (vous vous en doutiez peut-être?): peu d’élus = des gens honnêtes, passionnés, consciencieux, utiles, clairs, intelligents qui aiment vraiment les artistes et œuvrent au quotidien pour développer la carrière de celles et ceux avec lesquels ils travaillent. [Ceci n’est pas un publi-message, ces personnes existent.]

 

On dit que la rareté créé la valeur mais croyez-moi, la 1ère catégorie est véritablement la plus intéressante. Ne serait-ce que d’un point de vue psycho-anthropo-(patho)-logique. Sous leurs airs de « bonne pâte », la capacité de nuisance de ces parasites est illimitée et leur pugnacité à défendre leurs acquis tout à fait effrayante. Parcours typique : ont su, vers la fin de leur adolescence, se tailler une place de choix (comprendre : d’intermédiaire obligatoire) en leur qualité d’ami/e « historique » / ex / dealer [rayer la mention inutile] auprès d’une personne qui, comble de malchance pour l’artiste, est aujourd’hui l’interlocuteur/trice qui l’intéresse parce qu’il/elle a réellement le pouvoir de faire avancer sa carrière.

 

Artiste, tu veux un petit test efficace pour savoir à quelle catégorie appartient la personne en face de toi ? C’est très simple : s’il/elle invoque tes liens d’amitié dès que tu veux parler argent ou contrats pour noyer le poisson et du coup ne jamais te répondre, te donne « un conseil d’ami/e » qui consiste à te convaincre que tu n’as « pas besoin d’un manager », afin de te mieux te démontrer que c’est dans ton intérêt qu’il/elle pratique le cumul extensif des mandats en devenant ton tourneur, ton manager, ton éditeur ET ton label ou pire : te propose de collaborer artistiquement sur un remix, duo, reprise ou autre alors qu’il/elle n’a ni talent ni compo à son actif, mais envers qui tu te sens bizarrement un peu obligé/e quand même …rends-toi service : improvise ton meilleur « c’est pas toi, c’est moi » et prends tes jambes à ton cou. Un splendide spécimen du professionnel catégorie 1 est en face de toi et te proposera sous peu de signer un contrat contenant une OPTION du type de celle détaillée ci-avant. Ne me remercie pas, tu es prévenu/e.

 

Les deux autres parties du lexique, c'est par ici :

Petit lexique secret à l'usage des musiciens (1/3)

Petit lexique secret à l'usage des musiciens (3/3)

 


    Emily Gonneau / Unicum Music

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